L’année Lucie…

Ça aurait dû être l’année Lucie…

J’y reviendrai, mais c’était assez simple. J’avais laissé Lucie creuser un gouffre au bord duquel je m’étais assis, contemplant un vide abyssal. En me doutant bien que tout cela se terminerait mal, que j’allais finir par y tomber. Je ne dois jamais m’attacher aux gens, c’est une règle d’or, et je savais pertinemment qu’en la transgressant, je m’exposais à bien des revers. J’étais au plus mal, mais j’arrivais à vivre avec. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, mais, au moins, cette année, il s’était passé quelque chose…

Bref, je regardais Lucie s’éloigner, sans trop savoir si elle allait bien, si elle allait mieux. Sans comprendre la distance qu’elle semblait soudain vouloir prendre. Ce n’était pas bon signe. Ses absences de plus en plus fréquentes, son regard fuyant, sa tristesse apparente, tout laissait à penser que j’étais totalement passé à côté du but que je m’étais fixé. Et au lieu de trouver le courage de réentamer un dialogue, je m’étais figé, submergé par une vague d’incompréhension et d’impuissance. Je broyais du noir seul dans mon coin en me disant que dans quelques mois, je finirais par remonter la pente. Il ne resterait de cette année qu’un mot gentil et l’idée saugrenue qu’une fois dans ma vie, j’avais failli avoir une amie…

J’en étais là et le mois de mai s’annonçait plutôt maussade. En fait, je n’étais pas prêt pour le mois de juin. Et Lucie n’y serait pour rien…

Je n’ai pas vu le coup venir. Le sens du timing des emmerdes à son paroxysme, la seconde lame qui vous emporte alors que vous ne vous êtes pas encore relevé de la première. Mercredi dernier, réfugié dans mes routines de déprime, j’avais lancé ma veille internet quasi mensuelle, à la recherche d’une bien hypothétique trace d’Aurélie. Comme d’habitude, j’étais passé vite fait sur ses nombreuses homonymes. Et, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai cliqué sans but sur le semblant d’entreprise à son nom, un montage financier visant à transmettre un bien immobilier sur Bordeaux. Une occurrence que j’avais déjà explorée par le passé, il y a des années de cela, et qui s’était révélée tellement insignifiante qu’elle ne constituait pas le quart d’un début de commencement de piste. Mais ce jour là, je ne sais pas comment ni pourquoi, quelque chose avait changé…

Une bête date. Et un nom. Dans mes souvenirs, je me rappelais juste qu’elle était née l’été 81, cela correspondait. Et le nom, un nom d’épouse. Mieux, en pièce jointe, deux actes notariés, avec des adresses, des professions, des dates. Tout, littéralement tout, semblait indiquer que je tenais enfin une piste sérieuse. Après 22 ans de recherche. Après 22 putains d’années de recherche. Pourquoi ce jour-là ? Pourquoi maintenant ? Bref, trente minutes à tirer et remonter des fils plus tard, il me fallait me rendre à la double évidence. C’était très probablement bien elle et elle avait appliqué à son nouveau nom la même politique qui lui avait permis de s’évanouir dans la nature un triste soir de novembre 2002. Quasiment aucune trace laissée sur la toile…

Et me voilà assis comme un con avec une adresse fiable, à devoir rédiger une lettre de prise de contact dont on a du mal à mesurer l’importance. Le seul fil rouge de mes vies d’après, ma quête éternelle, enfin pouvoir reparler à celle qui aura tout changé dans ma vie, Aurélie. Je dresse la liste des issues possibles, essaie d’en estimer les probabilités, d’anticiper le pire. Mais les conséquences d’une fin de non recevoir seraient terribles…

Ce mercredi là, Élodie m’a ramassé à la petite cuillère. C’était peut-être bien la première fois qu’elle me voyait pleurer. Je lui ai raconté l’histoire, elle a souri, s’est gentiment moqué de ma crise de la quarantaine, m’a pris dans ses bras, et j’ai essayé de me rappeler combien de fois j’avais pleuré en 25 ans. Deux fois, je crois. Décembre 2009, évidemment, et la nuit du 16 au 17 novembre 2002. Cette nuit où je l’avais vue pour la dernière fois. Je pensais alors qu’elle disparaissait à jamais…

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